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 Katie :
Mon mari et moi nous sommes mariés à 22 ans. C’est quand j’étais enceinte de notre fils Noah que Mike a commencé à changer. Il avait des problèmes au travail. Il était plus distant avec ses amis. Il avait de la difficulté à lire et à écrire.
 
Jay :
Vous venez d’entendre Katie Brandt. Cette femme a été proche aidante pour deux êtres chers qui vivaient avec la démence en même temps. Elle est ressortie de cette expérience avec une sagesse durement acquise qui lui a appris à prendre soin de ses proches et d’elle-même. Elle va nous en parler dans quelques instants.
 
Allison :
Bienvenue à Défier la démence, le balado pour quiconque a un cerveau.
 
Jay :
Adopter un mode de vie qui maintient votre cerveau en santé et qui réduit le risque de démence : c’est ce que vise Défier la démence. Car la démence ne dépend pas seulement des gènes. Il est vrai que nos gènes jouent un rôle, mais des facteurs de risque liés au style de vie comme la perte auditive, le manque d’exercice et la pollution de l’air pèsent lourd dans la balance.
 
Allison :
Selon les scientifiques, si nous apportions des changements sains à ces facteurs de risque, nous pourrions réduire d’au moins 40 % les cas de démence à l’échelle de la planète.
 
Jay :
Aujourd’hui, nous aborderons un aspect qui compte beaucoup pour la population vieillissante : les risques pour le proche aidant! Les preuves ne manquent pas de confirmer que les proches aidants, c’est-à-dire les personnes qui s’occupent de proches ou d’amis vivant avec la démence ou d’autres maladies chroniques, courent un risque beaucoup plus élevé de développer eux-mêmes la démence.
 
Allison :
Aujourd’hui, nous entendrons les points de vue d’experts sur la manière dont les risques pour le proche aidant se manifestent et sur ce qui engendre les risques, ainsi que des conseils sur les étapes pour réduire ces risques.
 
Jay :
Je m’appelle Jay Ingram. Je suis rédacteur scientifique et animateur de radio. J’écris sur la démence et j’en parle depuis plus de 25 ans.
 
Allison :
Je m’appelle Allison Sekuler. Je suis présidente et scientifique en chef à l’Académie de recherche et d’éducation Baycrest et au Centre d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement.
 
Jay :
Joignez-vous à nous pour défier la démence. Parce qu’il n’y a pas d’âge pour prendre soin de son cerveau.
 
Allison :
L’an dernier, l’ancienne première dame des États-Unis Rosalynn Carter est décédée à l’âge de 96 ans. Parmi l’une de ses nombreuses réalisations, il y a la mise sur pied d’un institut consacré à l’étude et à la promotion des proches aidants. Elle nous a également légué une citation célèbre et mûrement réfléchie sur l’importance de la proche aidance.
 
Jay :
Rosalynn Carter a dit : « Il n’y a que quatre catégories de personnes dans ce monde… Celles qui ont été proches aidantes. Celles qui sont proches aidantes. Celles qui seront proches aidantes. Celles qui ont besoin d’un proche aidant. »
 
Allison :
Pour bien faire saisir la gravité de la situation, selon le Centre canadien d’excellence pour les aidants, un Canadien sur quatre s’identifie actuellement comme proche aidant, et un Canadien sur deux sera proche aidant à un moment de sa vie.
 
Jay :
Aujourd’hui, nous explorons en profondeur le risque de démence auquel font face les proches aidants. Nous pensons vraiment que ce sujet mérite l’attention de tous.
 
Allison :
Absolument. Pendant la réalisation de cette série de balados, des personnes nous ont dit que nous devrions faire un épisode sur les risques pour le proche aidant. Nous y voilà.
 
Jay :
Plus tard, dans Défier la démence. Notre invitée d’aujourd’hui sera Katie Brandt. En plus d’avoir une histoire personnelle incroyable et inspirante sur l'amour et le soin, Katie est aussi une référence mondiale sur la façon dont les proches aidants peuvent survivre et s’épanouir.
 
Allison :
Pour commencer, quels sont exactement les risques pour le proche aidant? En quoi affectent-ils notre cerveau?
 
Jay :
Notre premier invité est un expert en la matière. Dr. Ho Yu, est neurobiologiste et professeur agrégé au Département de pharmacologie de l’Université de Toronto. Il s’intéresse bien sûr aux proches aidants, mais ses recherches portent principalement sur les cellules cérébrales. Il cherche à comprendre pourquoi celles-ci ne parviennent pas à éliminer l’accumulation de protéines toxiques que l’on retrouve avec des maladies comme l’Alzheimer. Dr. Yu étudie aussi les facteurs de risque de la démence liés au mode de vie. Il s’intéresse particulièrement à la façon dont ces facteurs touchent les personnes d’origine asiatique. Il est l’un des chercheurs qui participent à la cohorte asiatique pour l’étude sur la maladie d’Alzheimer. Ho Yu nous parle depuis Toronto. Dr. Yu, bienvenue à Défier la démence.
 
M. Yu :
Merci de m’avoir invité.
 
Jay :
Nous sommes heureux de vous accueillir. Comme nous l’avons mentionné tout à l’heure, bon nombre d’entre nous sont ou seront proches aidants. Et bon nombre d’entre nous connaissent ou connaîtront des proches aidants. Selon vous, à quel point devrait-on s’inquiéter du risque de démence pour les proches aidants?
 
M. Yu :
C’est une très bonne question. Je pense que nous devons tenir compte de l’éventail de proches aidants qui s’occupent des personnes atteintes de démence. La statistique la plus alarmante que nous ayons est que les conjoints des personnes atteintes de démence ont six fois plus de risque de développer eux-mêmes la démence que quelqu’un qui ne s’occupe pas d’une telle personne.
 
Jay :
C’est un chiffre énorme.
 
M. Yu :
Oui. De plus, certain de ces proches aidants peuvent aussi avoir un risque génétique pour la maladie d’Alzheimer, comme l’apolipoprotéine E.  C’est le principal facteur de risque génétique de la maladie d’Alzheimer tardive. Et ce risque génétique peut doubler ou tripler le risque de développer la maladie d'Alzheimer. Ainsi, le fait de prendre soin d’une personne souffrant de la démence peut avoir une incidence importante sur le risque pour le proche aidant de développer la maladie. En particulier pour les personnes qui ont un risque génétique accru.
 
Allison :
Donc, le gène multiple vos risques par trois?
 
M. Yu :
C’est ça.
 
Allison :
Et le simple fait d’être proche aidant multiplie vos risques par six. C’est bien cela?
 
M. Yu :
Oui. C’est bien cela.
 
Allison :
Wow. Pourquoi pensez-vous que le cerveau des proches aidants présente un risque élevé de développer une démence? Ce n’est pas contagieux. Donc, quelle en est la cause?
 
M. Yu :
Bien sûr, la démence n’est pas une maladie contagieuse. Je voudrais également mentionner que les proches aidants ne sont pas forcément les conjoints. Ils sont représentatifs de multiples générations de familles et de communautés. Nous devons en quelque sorte examiner ce qui se passe avec les proches aidants en ce qui concerne leur corps, leurs expériences et leur cerveau. Ainsi, un proche aidant sera plus isolé. Les personnes qui prennent soin d’une autre personne atteinte de démence ou de la maladie d’Alzheimer ont souvent l’impression d’être la seule personne à pouvoir en prendre soin. Cela peut mener à l’isolement social et a des répercussions importantes sur leur vie. Des études ont démontré que l’isolement social peut entraîner, au fil du temps, un rétrécissement de 10 à 20 % de l’hippocampe. Une région du cerveau qui joue un rôle dans la mémoire. Et ce rétrécissement peut causer une perte de la capacité à se remémorer des souvenirs.
L’isolement social peut aussi engendrer de nombreux phénomènes comme la dépression. Qui est aussi un facteur de risque majeur de la maladie d’Alzheimer. En outre, le seul fait de pouvoir avoir des interactions sociales a un effet apaisant. Ainsi, les proches aidants qui sont isolés socialement peuvent être plus stressés. Et nous savons que certaines de ces molécules de stress, que nous pouvons détecter comme le cortisol, peuvent faire diminuer le nombre de neurones qui jouent un rôle dans la pensée. Ainsi, dans un tel système, on crée un environnement qui n’est vraiment pas favorable à l’apprentissage et à la mémoire.
 
Allison :
Parmi les autres facteurs de risque dont nous avons parlé, il y a l’exercice, la nutrition et le sommeil. Les proches aidants sont-ils affectés par ces facteurs? Leur cerveau des proches aidants est-il affecté de la même manière par ces facteurs de risques?
 
M. Yu :
Absolument. Prenons le sommeil par exemple. Lorsque l’on vit avec quelqu’un qui souffre de démence, il y a un peu plus d’imprévisibilité. La nécessité pour un proche aidant d’être constamment vigilant pèse lourdement sur sa capacité à bien dormir. Nous étudions notamment cet aspect. La perte de sommeil affecte la capacité à se concentrer et à retenir les souvenirs. Sur le plan biologique, on constate une accumulation plus importante des protéines toxiques liées à la maladie d’Alzheimer.
 
Allison :
Et pour la nutrition et l’exercice, en quoi seraient-ils touchés?
 
M. Yu :
L’exercice est l’un de ces facteurs de risque qui a le plus d’incidence sur la fonction cardiaque et pulmonaire. Ainsi, si l’on ne fait pas d’exercice, les cellules cérébrales reçoivent moins d’oxygène. La sédentarité peut accroître le risque d’obésité et de diabète. Il est vraiment important de faire de l’exercice. Ici encore, il est difficile de pointer du doigt tous ces facteurs. C’est une association de nombreux éléments qui se font chez une personne.
 
Jay :
Nous savons que vous vous intéressez aux phénomènes moléculaires qui jouent un rôle dans la démence. Pensez-vous que l’accumulation de protéines toxiques dans le cerveau des proches aidants et le même que chez les patients atteint de démence?
 
M. Yu :
Revenons sur le fait que le risque est six fois plus élevé de développer une démence chez les proches aidants. Je ne crois pas qu’il existe une étude fiable qui peut dire : « Nous commençons à comprendre le fonctionnement de certains biomarqueurs que nous pouvons détecter dans le sang ou dans le cerveau. » Et je pense que c’est quelque chose de vraiment important. Le défi ici est de faire avancer la détection précoce, notamment dans les populations vulnérables comme celle des proches aidants.
 
Jay :
Nous allons parler du rôle des proches aidants un peu plus tard dans l’épisode. Une bonne partie de vos travaux consiste à étudier le risque de démence chez les personnes d’origine asiatique vivant en Amérique du Nord. Pourquoi avoir choisi ce sujet?
 
M. Yu :
Je suis moi-même d’origine chinoise, j’ai toujours été intrigué par le fait que les participants aux recherches cliniques menées aux États-Unis sont le plus souvent d’origine caucasienne. C’est une occasion manquée d’approfondir nos connaissances. Nous savons que la démence est omniprésente dans tous les pays. En particulier, je crois qu’environ les deux tiers de tous les cas de démence sont en Asie. Cela se reflète très peu dans les recherches cliniques, les essais cliniques et les interventions liés à la prévention. Nous savons que différents groupes socio-culturels pourraient avoir différents facteurs de risque et ainsi les rendre plus ou moins vulnérables.
Avec la cohorte asiatique pour l’étude sur la maladie d’Alzheimer, ou ACAD, nous voyons vraiment la disparité, non seulement sur le plan de la participation aux recherches, mais aussi sur le plan de l’accès aux soins et aux renseignements médicaux. Une chose qui me passionne beaucoup, c’est de travailler avec des populations sous-représentées, pas seulement asiatiques, mais d’autres groupes qui n’ont pas accès aux soins de santé ou aux renseignements sur la santé du cerveau. C’est devenu l’un des programmes que je mène au sein de la communauté. Comment pouvons-nous améliorer la dissémination des connaissances au sein de toutes les communautés? Comment pouvons-nous informer le maximum de gens afin que nous puissions, je l’espère, réduire les risques de toute la population?
 
Allison :
Bien entendu, il y a des proches aidants dans toutes les cultures. Toutefois, l’approche de soins pourrait être différente d’une culture à une autre. Y a-t-il des facteurs culturels qui pourraient avoir une incidence différente sur le risque de démence chez les proches aidants asiatiques en Amérique du Nord par exemple?
 
M. Yu :
Absolument. Je pense que les influences sociales et culturelles ont une incidence majeure sur la manière dont nous abordons certaines de ces questions. Par exemple, un stéréotype encore assez répandu est que les générations plus âgées ont tendance à être autonomes. Elles ont tendance à dire « Je ne veux pas vous déranger ». Mais souvent, elles deviennent cette personne qui s’occupe d’une autre personne qui elle aussi a le sentiment d’être autonome. Un autre aspect intéressant est que la diversité sur le plan de l’éducation et de la capacité à parler anglais au Canada peut elle aussi affecter le parcours d’une personne.
Ainsi, l’accès aux soins se fait souvent en anglais, tout comme l’accès à l’information. C’est une lacune que nous tentons de combler. Une partie de notre travail consiste à transmettre ces renseignements aux personnes en santé. Nous avons rencontré de nombreux proches aidants qui se soucient de leur conjoint ou de leur conjointe. Je voudrais leur dire qu’ils devraient également prendre soin d’eux-mêmes, car leur santé est elle aussi affectée. Si, en tant que proches aidants, ils sont affectés, cela réduit leur capacité à prendre soin de cet être cher atteint de démence.
 
Jay :
Dr. Yu, notre prochaine invitée, Katie Brandt, aura quelques conseils à donner en lien avec les risques pour le proche aidant, mais vous avez bien dit qu’il faut prendre soin de soi? Est-ce le principal conseil que vous aimeriez donner à tout le monde?
 
M. Yu :
Je pense que oui. Et aussi essayer de comprendre que certain facteurs de risque comme l’exercice, l’isolement social, la dépression, sont aussi des facteurs de risque potentiels pour le proche aidant.
 
Allison :
C’est un peu comme lorsqu’on se trouve dans un avion et qu’on vous donne la consigne suivante de mettre votre masque à oxygène avant d’aider les autres à le faire. Autrement dit, prenez d’abord soin de vous afin de pouvoir prendre soin des autres. Est-ce un bon résumé?
 
M. Yu :
Absolument. Je pense que, souvent, le proche aidant ne se voit pas comme étant une personne vulnérable. Il y a un besoin plus urgent: aider son proche. Ainsi, on oublie que ses propres besoins doivent être satisfaits. Le stress, l’isolement et l’alimentation jouent un rôle déterminant dans notre capacité à vivre en santé.
 
Allison :
Dr. Yu, merci beaucoup. C’était vraiment intéressant de vous écouter. Merci de vous être joint à nous.
 
M. Yu :
Tout le plaisir est pour moi. Merci beaucoup de m’avoir invité.
 
Allison :
Dr. Yu est neurobiologiste et professeur agrégé de pharmacologie à l’Université de Toronto. Il nous a parlé depuis Toronto.
 
Jay :
Notre prochaine invitée est Katie Brandt. Elle va nous raconter comment elle est devenue proche aidante. Ce qu’il faut savoir au sujet de Katie, c’est que son rôle de proche aidante l’a conduite à une vie très publique où elle soutient d’autres proches aidants et des personnes atteintes de démence. Katie parle de ce qu’elle a appris de première main et mentionne qu’elle est à la fois clinicienne, chef de groupe de soutien, éducatrice, militante et oratrice. Elle occupe également un poste à temps plein comme directrice des services de soutien aux proches aidants et des relations publiques à l’Unité des démences fronto-temporales du Massachusetts General Hospital. Enfin, c’est une citoyenne scientifique qui a coécrit des rapports de recherche avec d’éminents chercheurs sur la démence. Katie Brandt nous parle depuis Portsmouth, dans le Rhode Island. Katie, bienvenue à Défier la démence.
 
Katie :
Merci, Jay. Je suis ravie d’être là.
 
Jay :
Katie, nous aimerions entendre votre expérience comme proche aidante, mais tout d’abord, avez-vous des réflexions sur ce que Dr. Yu a dit?
 
Katie :
Cela fait réfléchir. Cela correspond aussi à ce que j’ai observé chez les proches aidants qui se donnent corps et âme et qui s’oublient. Il est clair que leur propre santé est affectée. Cela me rappelle aussi une chose que je dis souvent dans mes exposés aux cliniciens : le jour où ils posent un diagnostic d’Alzheimer ou de démence, ils posent en fait deux diagnostics. Ils ont deux patients devant eux, car le jour où ils posent un diagnostic de maladie neurologique progressive chez une personne, ils diagnostiquent également un proche aidant.
 
Allison :
Donc, Katie, comment êtes-vous devenue proche aidante?
 
Katie :
J’aime dire que cela a commencé comme une histoire d’amour. Mon mari et moi nous sommes mariés à l’âge de 22 ans. C’est quand j’étais enceinte de notre fils Noah que Mike a commencé à changer. Il avait des problèmes au travail. Il était plus distant avec ses amis. Il avait de la difficulté à lire et à écrire. Ainsi, je l’ai accompagné chez le médecin. Je me souviens, alors que je tenais Noah dans le siège d’auto pour bébé, avoir dit à la médecin : « Mon mari a des agissements vraiment bizarres. Se pourrait-il qu’il ait une tumeur au cerveau? » Elle a été la première de huit professionnels de santé à lui poser un mauvais diagnostic. La situation s’est répétée jusqu’à ce que j’emmène Mike voir le chef de neurologie cognitive au centre Beth Israel, à Boston, au Massachusetts. Là, il a reçu le bon diagnostic : il souffrait de dégénérescence fronto-temporale avec variante comportementale. Il avait 29 ans.
 
Allison :
Est-ce parce qu’il était aussi jeune qu’il a reçu tant de mauvais diagnostic?
 
Katie :
C’est exactement ça. La dégénérescence fronto-temporale, surtout celle avec variante comportementale, s’accompagne de nombreux symptômes psychiatriques et comportementaux comme l’impulsivité et le manque d’empathie. Et s'accompagne même des fois d’hyper-oralité et de dépenses compulsives. Il est difficile de dire d’emblée que ces comportements sont un signe de démence, car ils sont souvent associés à la crise de la quarantaine ou à la dépression.
 
Allison :
L’histoire ne s’arrête pas là, pas vrai?
 
Katie :
En effet. Ainsi, quatre jours après que mon mari a reçu son diagnostic, ma mère est décédée subitement. Et mon père consultait déjà des médecins pour des problèmes de mémoire. 17 jours après le décès de ma mère, mon père recevait un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Il avait 59 ans. Ainsi, à 29 ans, je devais m’occuper de deux hommes adultes souffrant d’une démence progressive. Mon fils avait un an à l’époque.
 
Jay :
En plus de parler de la façon dont le fait d’être proche aidant peut accroître le risque de démence, Dr. Yu a aussi parlé de la façon dont cela peut affecter la santé du cerveau et la santé en général. Donc, Katie, comment vous en êtes-vous tirée dans les mois et les années après être devenue proche aidante pour plus d’une personne?
 
Katie :
C’est difficile pour moi de l’admettre, mais je n’allais pas très bien au début, car je me sacrifiais pour répondre aux besoins des autres. J’essayais d’apprivoiser ce nouveau rôle. Je sacrifiais mon sommeil. J’ai quitté mon emploi, ce qui a créé énormément de problème financier. Mais je pouvais ainsi être totalement présente et prendre soin des gens qui avaient besoin de moi. Je n’avais pas de temps pour me cuisiner des repas nutritifs. Lorsque mon mari était en fin de vie, ma perte de poids était visible. J’ai même fait des crises d’urticaire chroniques dues au stress. J’ai réalisé que j’étais devenue très isolée parce qu’il était vraiment difficile pour moi d’organiser les soins prodigués aux personnes dont je m’occupais de manière à pouvoir sortir et m’amuser un peu. Je me suis rendu compte que si je voulais être en santé et en mesure de courir ce marathon, je devais changer de vie.
 
Jay :
Est ce le moment ou vous avez réalisé que vous deviez changer quelque chose?
 
Katie :
Mon mari a vécu avec son diagnostic durant environ un an avant de déménager dans une maison de santé pour les deux dernières années de sa vie. C’est pendant la dernière année que j’ai commencé à voir les effets sur ma santé. J’allais voir une psychologue chaque semaine ou toutes les deux semaines. C’est elle qui m’a dit : « Je sais à quel point vous êtes dévouée à être une mère formidable, mais si vous ne commencez pas à penser à vous, vous ne pourrez pas être présente pour votre fils. » Elle m’a ainsi vraiment fait comprendre qu’en tant que proche aidante, je devais prendre du temps pour moi. Ce n’était pas un luxe. Il le fallait, pour que je puisse continuer à défendre les intérêts des autres. Cela m’a vraiment incitée à m’inscrire au YMCA et à commencer à suivre des cours de conditionnement physique avec une amie. L’organisme offrait des services de garde d’enfants gratuits. J’ai emmené mon père dans un programme de soins journaliers pour adultes. À partir de ce moment, j’ai vraiment commencé à me sentir mieux.
 
Allison :
Si vous pouviez remonter le temps, lorsque vous avez été diagnostiqué comme proche aidante, comme vous dites, quel conseil vous donneriez-vous?
 
Katie :
Qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’un seul adulte réponde à tous les besoins d’une personne vivant avec la démence. Tant la personne vivant avec le diagnostic que moi-même, nous nous en sortirions beaucoup mieux si nous faisions partie intégrante et étions en lien avec les ressources que peuvent offrir la communauté. Je pense que, dans les premiers temps, j'avais l'impression que c’était quelque chose que je devais cacher et dont je devais m’occuper à la maison. Que je devais simplement supporter le fardeau. Que je devais me débrouiller seule. Que c’était la responsabilité de notre famille. Mais maintenant, je crois vraiment que cette responsabilité doit être partagée avec la communauté.
J'ai vu mon père s'épanouir. D'abord, dans un programme de soins de jour pour adultes, qui a donné un but et un sens réels à son quotidien. Par la suite, j’ai trouvé un programme résidentiel, dans un foyer de soins de la mémoire, qui a permis à mon père d'avoir des pairs. Il avait même une copine. Et ainsi, j’ai pu ainsi devenir la mère que je voulais vraiment être. D’autant plus qu’après le décès de Mike, Noah n’avait plus qu'un seul parent.
Le désir de rester chez soi est en fait fondé sur la peur de l’inconnu ou peut-être même sur nos idées anciennes selon lesquelles on abandonne nos aînés si on les place dans des résidences pour aînés. On se dit qu’ils n’auront pas de contact avec leurs proches. Aujourd’hui, les familles peuvent faire partie intégrante de la vie de leurs êtres chers dans un foyer de soins de la mémoire, un logement avec assistance ou un établissement de soins infirmiers spécialisés. En fait, c’est un véritable cadeau pour moi, car maintenant, lorsque je passe du temps avec mon père, je peux seulement être sa fille. Je n’ai pas à m’inquiéter de faire sa lessive ou de gérer ses médicaments.
 
Allison :
C’est merveilleux d’entendre qu’en plus d’avoir du temps pour vous, votre père est heureux en foyer. Ainsi, il y avait peut-être de l’inconnu, mais maintenant, j’ai l’impression qu’il ne voudrait pas qu’il en soit autrement.
 
Katie :
Je pense que si vous posiez la question à mon père, il ne dirait probablement pas qu’il voulait vivre dans un foyer de soins. Il aurait sans doute pensé que ce n’est que pour les vieilles personnes malades. Mais je suis convaincue qu’il ne voulait pas que je sacrifie ma vie pour répondre à ses besoins. De plus, je ne pourrai jamais récupérer pleinement de l'impact financier dû à l'interruption de ma carrière. Cela a affecté ma capacité d'épargne et aura des conséquences sur ma retraite et mes soins à un âge avancé.
 
Jay :
Katie, je pense que la chose surprenante que les gens vont retenir de ce balado, c’est le risque accru de démence chez les proches aidants. D’après votre expérience, y a-t-il des choses précises que vous recommanderiez aux proches aidants qui souhaitent réduire ce risque de démence?
 
Katie :
Absolument. La première chose que je recommande aux proches aidants, c’est, une fois qu’ils ont reçu un diagnostic précis pour leur être cher, de se mettre en contact avec une association. Donc, si votre proche est atteint de la maladie d’Alzheimer, communiquez avec la Société Alzheimer de votre région. Si votre proche est atteint de dégénérescence fronto-temporale, contactez l’Association pour la dégénérescence fronto-temporale. Rejoignez aussi un groupe de soutien. Les gens me disent : « Eh bien, je ne veux pas faire partie d’un groupe de soutien, car je ne veux pas parler de mes émotions et pleurer en groupe. » Ce n’est pas ça un groupe de soutien. Un groupe de soutien c’est un environnement où les gens reconnaissent vos actions. Des gens à qui vous n’avez pas à tout expliquer. Un milieu où vous êtes accepté et accueilli. Je pense que cela peut être la première étape lorsqu’on porte cette nouvelle identité de proche aidant. Car on va pouvoir apprendre au contact de proches aidants chevronnés comme par exemple: Comment font-ils pour garder leur identité propre et un peu de leur vie d’avant le diagnostic? C’est la première chose à faire, je pense. La deuxième chose est, je dirais, de prendre contact avec un professionnel de la santé mentale simplement pour prendre soin de vous. Une personne qui pourra vous accompagner et vous aider à prendre du temps pour vous.
 
Allison :
Nous avons mentionné que bon nombre d’entre nous finiront par être proches aidants d’une manière ou d’une autre. Pensez-vous que l’on peut attendre qu’un diagnostic tombe avant de s'intéresser à nos risques ou y a-t-il un moyen de nous préparer à ce qui sera une réalité pour bon nombre d’entre nous?
 
Katie :
Je pense que je n’aurais jamais pu me préparer à prendre soin de mon mari. Je n’avais jamais entendu parler de la dégénérescence fronto-temporale. Je ne savais pas que l’on pouvait être atteint de démence dans la vingtaine ou la trentaine. Maintenant que je suis dans la quarantaine, j’ai beaucoup d’amis et de membres de ma famille dont les parents commencent à vieillir. Et je leur dis « As-tu parlé avec tes parents de la maison où ils habitent maintenant? Et s’ils n’étaient plus capables de monter les escaliers plus tard? » ou bien « Tes parents habitent à trois heures de route. Qu’arrivera-t-il s’ils ont besoin que tu les emmènes à leurs rendez-vous médicaux? » Ainsi, parfois, le seul fait de lancer l’idée peut être une bonne occasion pour discuter, avant que vous soyez en crise.
 
Allison :
Lorsque les gens écoutent le balado, ils recherchent souvent un ou deux messages simples à appliquer à la maison. Des choses qu’ils peuvent faire pour se protéger et réduire leur risque de démence. Quel conseil leur donneriez-vous?
 
Katie :
Je dirais que, si vous n’êtes pas encore un proche aidant, parlez aux personnes dans votre vie que vous aimez et demandez-leur “Et si quelque chose devait arriver où je devrais devenir ton aidant, peut-on discuter de comment je pourrai prendre soin de toi, tout en restant en sante?”
Et si vous êtes déjà un aidant, contactez votre communauté religieuse, votre prestataire de soins de santé local, vos amis et votre famille, et constituez une équipe de personnes pour vous aider à prendre soin de votre proche afin de protéger votre santé, tout en aidant. Ce n'est pas un échec de dire que vous avez besoin d'aide, mais en fait, un acte de courage et d'amour.
 
Jay :
Vous êtes une personne dynamique, Katie. Cela ne fait aucun doute. Et comme proche aidante, vous avez fait face à des défis extraordinaires. Ont-ils contribué à faire de vous la personne que vous êtes aujourd’hui? Ou avez-vous toujours été comme ça?
 
Katie :
Le fait d’être proche aidante m’a assurément changée. Je dis souvent que je me sens extrêmement chanceuse. J’étais très aimée de mes parents et de mon mari et j’ai le sentiment d’avoir pu transmettre cet amour à mon fils, d’être la mère que mes parents et mon mari auraient voulu que je sois. L’amour a nourri non seulement ma propre famille, mais aussi les proches aidants avec qui je travaille. Je constate que les proches aidants qui souffrent le plus sont ceux qui aiment les membres de leur famille. Ils pensent qu’en se sacrifiant, la maladie sera moins difficile à vivre pour leur être cher.
Mais ce n’est pas le cas. Le fait de réunir plus de gens pour vous aider à prendre soin de votre être cher vous permet de faire ce que vous êtes le seul à pouvoir faire, c’est-à-dire tenir la main de votre être cher, lui rappeler des souvenirs et l’aimer comme seuls un enfant adulte, un conjoint ou un ami peuvent le faire. Je ne sais pas. Je pense que j’ai ça en moi. Ça a été un véritable privilège de faire partie de cette communauté et de faire entendre ma voix pour les autres.
 
Allison :
Merci beaucoup. Je pense que vous avez eu beaucoup de plaisir à nous raconter votre histoire, et nous vous en sommes très reconnaissants. Comme vous l’avez dit, l’amour, c’est ce qui vous nourrit. De toute évidence, vous en avez reçu beaucoup. Un grand merci pour cette conversation.
 
Jay :
Oui, merci.
 
Katie :
Merci à vous deux.
 
Allison :
Katie Brandt est oratrice, thérapeute, éducatrice et militante pour les personnes vivant avec une démence et leurs proches aidants. Elle nous a parlé depuis Portsmouth, Rhode Island. Jay, nos invités ont fourni de nombreux renseignements fort intéressants et importants. En gros, que retenez-vous de tout cela?
 
Jay :
Eh bien, je pense qu’il y a plus d’un élément. Celui en tête de liste est lorsque Katie a parlé de l’importance de protéger sa propre santé mentale face au stress qui accompagne le rôle de proche aidant. Il est important de le faire, même si les proches aidants estiment qu’ils doivent consacrer toutes leurs ressources à la personne dont ils prennent soin. Une partie de cette tâche consiste à mobiliser l’entourage, non seulement pour se préparer à devenir proche aidant, mais aussi durant les soins. Il est utile d’avoir des ressources supplémentaires pour vous aider, afin que vous n’ayez pas à travailler seul. Que penses-tu de tout cela?
 
Allison :
Eh bien, je pense au fait que les proches aidants ont jusqu’à six fois plus de risque de développer une démence. C’est assez impressionnant comme chiffre. Une des choses qui est vraiment importante à se rappeler est que la démence n’est pas contagieuse. Lorsqu’on est proche aidant, il y a plein de choses différentes qui ont une incidence sur notre vie. Tous les types de facteurs de risque dont nous avons parlé au cours de la série de balado sont touchés. Comme beaucoup d’entre nous seront proches aidants à un moment de notre vie, je pense que l’idée de parler de ce que nous pouvons faire pour nos proches et pour nous-mêmes au plus tôt, même avant un diagnostic, est un message vraiment important.
 
Jay :
Il y a tellement de messages importants que nos deux invités ont communiqués. Pour en savoir plus sur la façon dont vous pouvez réduire le risque de démence ou ralentir sa progression, rendez-vous sur notre site Défier la démence.org.
 
Allison :
Vous y trouverez les autres épisodes de ce balado, ainsi que nos vidéos, nos infographies et d’autres ressources.
 
Jay :
Notre équipe de production pour ce balado est composée de Rosanne Aleong, Monique Cheng et Sylvain Dubroqua. Notre producteur associé est Ben Schaub. La production est assurée par PodTechs. La musique est de Steve Dodd et le dessin de la page de couverture a été réalisé par Amanda Forbis et Wendy Tilby.
 
Allison :
Et il y a une énorme équipe en coulisse ici à Baycrest qui elle aussi joue un rôle majeur dans la réalisation de ce balado. Cette équipe est composée de Meaghan Adams, Sophie Boisvert-Hearn, Faith Boutcher, Kimberly Krezonoski, Natalie Leventhal, Larissa McKetton, Suzanne Pede, Shusmita Rashid et Adriana Shnall, ainsi que la communauté Leap ici à Baycrest.
 
Jay :
Nous tenons à remercier tout particulièrement les experts qui nous ont fourni de précieux conseils : Dre Nicole Anderson, de la Baycrest Academy for Research and Education et de l’Université de Toronto; Dre Mary Chiu, du Centre des sciences de la santé mentale Ontario Shores, à Whitby; Dre Miia Kivipelto, de l’Institut Karolinska de Stockholm et Dre Kathy Pichora-Fuller, de l’Université de Toronto à Mississauga.
 
Allison :
Un grand merci à l’Agence de la santé publique du Canada, qui finance cette série de balados. Veuillez noter que les opinions exprimées aujourd’hui ne représentent pas forcément celles de l’Agence de la santé publique du Canada.
 
Jay :
Votre soutien est grandement apprécié. Veuillez cliquer sur le bouton d’abonnement pour suivre Défier la démence sur Spotify, Apple Podcasts, Google Podcasts, ou toute autre plateforme où vous écoutez vos balados. Je m’appelle Jay Ingram.
 
Allison :
Et moi, Allison Sekuler. Merci d’avoir écouté Défier la démence. Et n’oubliez pas : il n’y a pas d’âge pour prendre soin de son cerveau.