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Walter Kuntz :
Tout est tellement plus clair. Les couleurs sont tout simplement incroyables et magnifiques. J’imagine qu’elles étaient comme ça il y a 50 ans, lorsque j’étais enfant, mais je ne m’en rendais pas compte.
 
Allison Sekuler :
Vous venez d’entendre Walter Kuntz. Lorsqu’il a constaté que sa vue se détériorait, il ne s’est pas contenté de fermer les yeux. Il a subi une chirurgie de la cataracte, ce qui lui a permis d’améliorer sa vision, et sans doute de stimuler aussi ses fonctions cérébrales.
 
Jay Ingram :
Bienvenue à Défier la démence, le balado pour quiconque a un cerveau.
 
Allison Sekuler :
Défier la démence, c’est vivre de manière à garder son cerveau en santé et à réduire les risques de démence, car la démence ne dépend pas seulement de nos gènes. La génétique peut jouer un rôle, mais les facteurs de risque liés au mode de vie, comme le manque de sommeil et le tabagisme, peuvent également avoir une forte incidence.
 
Jay Ingram :
Et d’après les meilleures données probantes disponibles, les scientifiques affirment qu’en apportant des changements sains à ces facteurs de risque, on pourrait réduire d’au moins 45 % le nombre de cas de démence à l’échelle de la planète.
 
Allison Sekuler :
Aujourd’hui, nous examinons les liens surprenants entre la perte de vision non corrigée et le risque de démence.
 
Jay Ingram :
Je m’appelle Jay Ingram. Je suis un écrivain et communicateur scientifique. J’étudie la démence dans des livres et des articles depuis des dizaines d’années.
 
Allison Sekuler :
Je m’appelle Allison Sekuler. Je suis présidente et scientifique en chef à l’Académie de recherche et d’éducation Baycrest et au Centre d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement.
 
Jay Ingram :
Joignez-vous à nous pour défier la démence, parce qu’il n’y a pas d’âge pour prendre soin de son cerveau.
 
Allison Sekuler :
Voici quelques chiffres impressionnants sur la perte de vision. Le Canada compte plus de 40 millions d’habitants et, selon un rapport du Conseil canadien des aveugles, environ 1,2 million de Canadiens vivent avec une perte de vision ou une cécité, soit plus de 3 % de la population.
 
Jay Ingram :
Le même rapport indique également que plus de huit millions de Canadiens vivent avec l’une des quatre maladies oculaires suivantes : la dégénérescence maculaire liée à l’âge, la cataracte, la rétinopathie diabétique et le glaucome. De plus, presque toutes les personnes de plus de 50 ans auront un jour des problèmes de vue qui doivent être traités ou corrigés.
 
Allison Sekuler :
Il est donc essentiel de traiter ces problèmes, non seulement pour mieux voir, mais aussi pour réduire le risque de démence. En effet, la perte de vision non corrigée a récemment été reconnue comme un nouveau facteur de risque de démence.
 
Jay Ingram :
Nous verrons en quoi le traitement de la perte de vision, notamment la cataracte, est si important pour la santé de notre cerveau. La cataracte est la maladie oculaire la plus courante au Canada, et le plus souvent, elle peut se soigner facilement grâce à une intervention chirurgicale. Elle survient lorsque le cristallin de l’œil s’opacifie avec le temps et finit par altérer la vision. L’opération consiste à retirer le cristallin et, dans la plupart des cas, à le remplacer par un implant artificiel.
 
Allison Sekuler :
Notre premier invité va nous faire partager son expérience avant et après une opération de la cataracte. Âgé de 78 ans, Walter Kuntz est originaire de l’Ontario. Cet employé des postes à la retraite a travaillé pendant 28 ans chez Postes Canada, dont 20 ans à distribuer le courrier. Il faut savoir que Walter a toujours aimé travailler en plein air. Il aimait faire son itinéraire de livraison du courrier, mais après deux remplacements de la hanche, Postes Canada lui a confié un poste à l’intérieur, dans un centre de tri, ce qu’il n’a pas du tout apprécié. C’est pourquoi il a pris sa retraite en 2004. Avec son épouse, il a ensuite créé une entreprise d’aménagement paysager qui l’a occupé pendant dix ans, jusqu’à ce qu’une affection pulmonaire le ralentisse. Walter mène toujours une vie active, mais il doit désormais porter une bouteille d’oxygène pour l’aider à respirer. Mais une autre chose ralentissait Walter : sa vision, qui se détériorait de plus en plus. Walter Kuntz nous parle depuis Heidelberg, en Ontario. Walter, merci de nous aider à défier la démence.
 
Walter Kuntz :
Merci de m’avoir invité.
 
Allison Sekuler :
Nous sommes heureux de vous avoir parmi nous. Nous voulons tout savoir sur votre opération des yeux, mais avant, on aimerait que vous vous présentiez un peu. Les gens savent maintenant que vous adorez travailler en plein air et que vous avez dirigé une entreprise d’aménagement paysager, ce qui représente beaucoup de travail physique. Comment faites-vous pour tenir ce rythme avec deux hanches artificielles?
 
Walter Kuntz :
Je pouvais choisir les travaux que j’effectuais avec l’entreprise d’aménagement paysager. Je ne faisais rien de trop exigeant. Je ne plantais pas d’arbres ou ce genre de choses. Je me limitais à planter des fleurs au printemps, à faire du paillage ou à pousser des brouettes par exemple. Je m’arrangeais pour éviter les efforts trop intenses. Cela me convenait très bien, et mes clients étaient contents de ce que ma femme et moi faisions pour eux.
 
Allison Sekuler :
Donc, vous avez donc permis à Heidelberg de rester jolie tout en restant vous-même actif et en forme.
 
Walter Kuntz :
Oui, c’était une combinaison des deux.
 
Allison Sekuler :
Et aujourd’hui, êtes-vous encore très occupé? Que faites-vous maintenant pour rester en forme et socialement actif?
 
Walter Kuntz :
Aujourd’hui, en raison de ma maladie pulmonaire, je marche le plus possible, avec « ma petite compagne », comme je l’appelle.
 
Allison Sekuler :
C’est-à-dire, votre bouteille d’oxygène?
 
Walter Kuntz :
C’est ça, oui. D’autre part, j’habite sur un terrain d’un demi-hectare. Le terrain est donc assez grand et nécessite beaucoup d’entretien. J’aime bien faire partie de plusieurs groupes de jeu de cartes, mais avec l’arrivée du printemps, il est probable que je réduise ces activités pour profiter du plein air.
 
Jay Ingram :
Walter, parlez-nous de votre vision. Qu’est-ce qui a changé, et à quel point la situation a-t-elle empiré?
 
Walter Kuntz :
Lorsque je distribuais le courrier, je n’avais absolument aucun problème de vue, mais après avoir été affecté au centre de tri, j’ai commencé à passer de longues heures devant un écran d’ordinateur, ce qui m’a causé de violents maux de tête. J’ai donc dû passer un examen de la vue et on m’a prescrit des lunettes. Puis, ma vue s’est progressivement détériorée au fil des ans, au point qu’il fallait sans cesse modifier ma prescription.
 
Jay Ingram :
Comment avez-vous appris que vous aviez besoin d’une opération de la cataracte?
 
Walter Kuntz :
C’est au cours de mes examens ophtalmologiques que l’on m’a conseillé de me faire opérer, principalement parce que je me plaignais beaucoup de l'inconvénient liés au fait de porter des lunettes : lorsque je travaillais à l’extérieur, la transpiration gênait ma vision en s’accumulant sur les verres, et d’autres choses de ce genre. J’ai donc décidé de me faire opérer des yeux.
 
Jay Ingram :
Concrètement, avant l’opération, comment était votre vision? Comment ça se passait lorsque vous lisiez ou faisiez d’autres activités, comme jouer aux cartes?
 
Walter Kuntz :
Je faisais des erreurs en jouant aux cartes, je confondais les deux couleurs noires. Et aussi, je travaillais le bois assez souvent. La situation est devenue désagréable parce que le ruban à mesurer était trop près ou trop loin et que je ne parvenais pas vraiment à le lire correctement.
 
Allison Sekuler :
Oui, et c’est une activité qui exige une grande précision. Si la mesure n’est pas parfaite, rien ne va plus!
 
Walter Kuntz :
L’un de mes projets préférés a été de construire des boîtes aux lettres tout à fait uniques.
 
Allison Sekuler :
C’est tout à fait approprié.
 
Walter Kuntz :
Oh oui, je n’avais jamais vu ça de cette manière. Je les construisais avec un petit panneau à l’avant qu’on pouvait changer selon la saison.
 
Allison Sekuler :
Quelle bonne idée!
 
Walter Kuntz :
En ce moment, sur l’une de mes boîtes, j’ai représenté une personne agenouillée en train de planter des fleurs. C’était un travail intéressant qui demandait de la minutie, mais ça ne m’amusait plus lorsque j’ai cessé de voir correctement. Avant de prendre ma retraite, je lisais rarement. Puis, une fois retraité, j’ai tenté de lire des livres et des romans, mais je n’y trouvais aucun plaisir, ce qui me faisait perdre tout intérêt. Ma femme m’a donc conseillé de lire des livres en gros caractères, ce qui a été assez agréable pendant un certain temps. Mais aujourd’hui, ce n’est plus nécessaire : depuis l’opération, je peux lire des livres ordinaires et cela rend la vie plaisante à nouveau.
 
Allison Sekuler :
Les personnes qui n’ont pas été opérées de la cataracte ne savent peut-être pas à quoi cela ressemble. Pourriez-vous nous raconter comment ça se passe?
 
Walter Kuntz :
J’ai été très surpris, car j’avais l’impression qu’il s’agissait plutôt d’une opération chirurgicale. Je ne pensais pas qu’il s’agissait d’une sorte de spectacle de lasers. J’ai été totalement époustouflé. Les lasers fusaient de toutes parts. Je n’avais pas du tout réalisé que ça se passerait ainsi. C’était vraiment, vraiment, vraiment passionnant.
 
Jay Ingram :
J’ai entendu dire que l’opération était rapide, c’est bien vrai?
 
Walter Kuntz :
Oui, tout à fait. Et surtout, je n’ai ressenti aucune douleur, absolument aucune. C’est quelque chose qui m’a beaucoup rassuré.
 
Allison Sekuler :
Donc, après cette intervention, votre cataracte a été enlevée et on vous a implanté de nouveaux cristallins. À quoi ressemble le monde pour vous maintenant?
 
Walter Kuntz :
C’est justement un autre point formidable. Tout est tellement plus clair. Les couleurs sont tout simplement incroyables et magnifiques. J’imagine qu’elles étaient comme ça il y a 50 ans, lorsque j’étais enfant, mais je ne m’en rendais pas compte. Peu à peu, tout était devenu lentement trouble et jaunâtre, comme si l’œil était recouvert d’une pellicule. Et comme je l’ai dit, je ne m’en rendais pas compte, mais lorsque je suis sorti de cette opération, tout paraissait incroyablement lumineux. C’est ce que j’apprécie le plus, c’est l’une des meilleures choses que j’aie jamais faites, car maintenant je peux voir, et les couleurs sont tout simplement incroyables. Elles s’étaient progressivement effacées; j’ai presque eu l’impression d’être devenu daltonien. Maintenant, je vois à nouveau les différences. Par exemple, j’ai deux voitures du même constructeur et, d’après le nuancier, elles sont de la même couleur. Pourtant, l’une me paraît plus blanche que l’autre. Je ne l’avais jamais remarqué auparavant.
 
Jay Ingram :
Walter, vous nous avez décrit à quoi ressemblait le monde avant votre opération. Vous disiez que lire des livres, lire un ruban à mesurer ou faire la différence entre des cartes à jouer était difficile. Est-ce que cela s’est aussi amélioré?
 
Walter Kuntz :
Oh oui, vraiment beaucoup. Je continue à lire des livres en gros caractères parce que je m’y suis habitué, mais s’il n’y en a aucun qui m’intéresse, je me tourne alors vers les livres en petits caractères.
 
Allison Sekuler :
Défier la démence vise à sensibiliser le public à la santé du cerveau et à l’idée que le risque de démence peut être considérablement réduit grâce à des choix de vie sains. Est-ce que le risque de démence vous préoccupe?
 
Walter Kuntz :
Oh, c’est une inquiétude, bien sûr. On y pense quand on a des membres de la famille qui en sont atteints. C’est pour cela qu’il faut prendre soin de soi et rester positif. Et puis, la chirurgie corrective change la façon dont on voit la vie. Je ne saurais dire à quel point je suis heureux d’avoir eu cette opération.
 
Allison Sekuler :
On sent d’ailleurs que vous adoptez déjà de nombreuses habitudes de vie saines qui sont censées réduire le risque de démence. Vous êtes une personne physiquement et socialement active et vous avez corrigé votre perte de vision. Que pensez-vous de l’idée que cette opération pourrait être bénéfique pour la santé du cerveau?
 
Walter Kuntz :
À mon sens, cela m’a permis de rester actif. Le monde a retrouvé ses couleurs. On voit tout, on peut sortir. Par exemple, dans notre quartier, il y a beaucoup de rouges-gorges; rien que le fait de les observer au printemps… On les entend d’abord chanter, puis on distingue leurs couleurs, et on remarque à quel point leur poitrine orange est éclatante. Le monde s’ouvre à nous, on peut voir ce qui se passe et ça redonne vraiment confiance. C’est un vrai plaisir de pouvoir bien voir. Je ne dirais pas qu’il n’y a plus aucune inquiétude quand on conduit, mais on a davantage confiance en soi. La vision n’est plus obstruée d’un côté et on voit mieux les choses au fur et à mesure qu’elles se produisent. Je pense donc que ça contribue, d’une certaine façon, à éloigner la maladie d’Alzheimer.
Je ne voulais pas revenir sur un sujet différent, mais ce qui me ralentit un peu sur le plan de la santé, c’est ma maladie pulmonaire. Toutefois, si vous parvenez à résoudre un problème, ça améliorera votre santé générale, sur le plan physique et mental.
 
Allison Sekuler :
En effet, dans un épisode précédent sur le bien-être et le mieux-être, on évoquait justement l’importance d’avoir une vision positive, qui en elle-même peut contribuer à réduire les risques de démence. C’est donc formidable d’entendre que la chirurgie de la vision a eu un tel effet sur vous. C’est merveilleux.
 
Walter Kuntz :
Oui.
 
Jay Ingram :
Walter, y a-t-il quelque chose que vous aimeriez que les gens sachent à propos de la perte de vision?
 
Walter Kuntz :
Oui, si vous avez un problème, faites-le examiner. Rendez-vous chez votre optométriste et passez un examen de la vue. Si l’on vous prescrit des lunettes, portez-les; et, si avec le temps vous avez besoin d’une chirurgie au laser, n’hésitez pas à franchir le pas. Cela offre vraiment une nouvelle perspective sur la vie, tout en vous remontant le moral. Vous n’avez plus à vous battre pour voir et vous ne trébuchez plus aussi souvent. À vrai dire, le mot est mal choisi. On ne trébuche pratiquement plus, car tout est visible devant soi.
 
Allison Sekuler :
Walter, merci beaucoup de vous être joint à nous et de nous aider à défier la démence. Ce fut un plaisir de discuter avec vous.
 
Jay Ingram :
Oui, merci.
 
Walter Kuntz :
Ce fut un plaisir de discuter avec vous également. Merci.
 
Allison Sekuler :
Walter Kuntz est un employé des postes à la retraite et paysagiste de 78 ans. Il nous a parlé à partir d’Heidelberg, en Ontario.
 
Jay Ingram :
Notre prochain invité porte lui aussi le prénom de Walter et a écouté Walter Kuntz. Il s’agit de Walter Wittich, professeur agrégé à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la réadaptation des personnes âgées souffrant d’une perte combinée de vision et de l’audition. Il a un lien fort avec ce récit; d’ailleurs, il se sent concerné par tout ce qui touche à la démence. Avec son mari, il est proche aidant de la mère de ce dernier, qui est atteinte de démence vasculaire et d’Alzheimer. Par ailleurs, Walter a eu l’honneur d’avoir été notre invité dans le tout premier épisode de Défier la démence. Dans cet épisode, nous nous étions penchés sur la perte auditive non traitée comme facteur de risque de démence. Walter, merci de nous aider encore une fois à défier la démence.
 
Walter Wittich :
Merci beaucoup. je suis très heureux d’être de retour.
 
Jay Ingram :
Walter, tout d’abord, comment se porte votre belle-mère? La dernière fois que nous nous sommes parlé, votre mari et vous preniez soin d’elle à la maison.
 
Walter Wittich :
Oui, la situation a un peu évolué : nous continuons à nous occuper d’elle, mais elle ne vit plus avec nous. L’année dernière, elle a emménagé dans un centre de soins de longue durée. C’est une situation intéressante, car nous observons désormais des phénomènes qu’on ne connaissait autrefois qu’à travers la science. Je vois aujourd’hui ce que l’on appelle la rétrogénèse : elle redevient peu à peu une jeune fille heureuse qui vit le moment présent. Sa vie est très agréable, elle profite de chaque jour, mais en même temps elle s’étiole, comme si elle retournait doucement dans le passé.
 
Allison Sekuler :
Je suis heureuse d’entendre qu’elle mène une belle vie, mais je suis désolée des épreuves que vous traversez. Pour revenir à l’entretien précédent, qu’est-ce qui vous a frappé en entendant son histoire.
 
Walter Wittich :
J’étais très impressionné par sa capacité à exprimer explicitement tout ce qu’il redécouvre dans la vie. Le fait de pouvoir à nouveau sortir, d’être physiquement actif sans craindre, par exemple, de trébucher et de tomber. Et il m’arrive souvent de me rappeler que la chirurgie de la cataracte est une intervention dont la plupart d’entre nous bénéficieront si nous vivons assez longtemps. Mais pour de nombreuses personnes, c’est la toute première fois qu’elles subissent une intervention chirurgicale, ce qui peut susciter un peu d’anxiété et d’anticipation. L’idée que quelqu’un va s’introduire dans votre œil n’est pas très amusante, mais comme M. Kuntz l’a souligné, tout se passe assez rapidement et sans douleur. Cette intervention est si simple qu’on parle souvent de chirurgie « en mode express », et on constate des bénéfices immédiats dès la fin de l’intervention.
 
Allison Sekuler :
Il semblait vraiment enthousiaste des changements dans sa vision. Évidemment, lire était devenu plus facile, mais même la perception des couleurs s’est améliorée. Est-ce fréquent?
 
Walter Wittich :
Oui. En fait, il y a deux aspects fascinants en ce qui concerne les couleurs. Il y a bien sûr la cataracte elle-même, qui est une opacification du cristallin qui filtre une partie de la lumière. C’est d’ailleurs pour cette raison que les patients remarquent immédiatement que tout leur paraît beaucoup plus lumineux. Mais il existe aussi un phénomène naturel appelé la brunescence du cristallin : en vieillissant, notre cristallin jaunit un peu, ce qui bloque certaines longueurs d’onde de couleur, notamment dans les bleus. Ainsi, de nombreuses personnes ont la sensation de redécouvrir l’intensité des couleurs, car le spectre redevient pleinement accessible à l’œil. Il y a une anecdote assez amusante dans ce contexte : vous avez sans doute déjà remarqué que certaines femmes âgées affichent parfois des reflets bleuâtres ou violets dans leurs cheveux. Cela signifie tout simplement qu’elles n’ont pas encore subi d’opération de la cataracte : elles se teignent probablement les cheveux, mais ne perçoivent pas vraiment cette nuance bleutée.
 
Allison Sekuler :
Il ne s’agit donc pas nécessairement d’un choix de style, mais plutôt de quelque chose lié à la vision.
 
Walter Wittich :
C’est tout à fait possible. Oui.
 
Jay Ingram :
C’est fascinant, Walter, mais ce qui nous intéresse vraiment, et vous aussi j’en suis sûr, c’est de savoir comment une perte de vision non traitée, comme en l’absence d’opération de la cataracte, peut réellement augmenter le risque de démence.
 
Walter Wittich :
Oui, je pense que ce lien entre la vision, ses troubles et la démence reste encore un peu insaisissable, faute de données suffisantes pour tout expliquer, mais nous avons quelques hypothèses.
L’une des hypothèses qui me paraît particulièrement intéressante est celle de la charge cognitive, car elle met en lumière la quantité de travail nécessaire pour accomplir ce qu’on souhaite faire. Ainsi, lorsqu’on est malvoyant ou qu’on a des difficultés à voir, il faudra simplement déployer un peu plus d’efforts à certaines choses, ce qui laisse moins de ressources pour d’autres tâches cognitives, comme se souvenir de ce qu’on vient de lire.
De plus, la vision est liée à d’autres facteurs comme l’engagement social et la mobilité qui, eux aussi, sont associés au risque de démence. Si vous éprouvez des problèmes de vision, vous serez peut-être moins enclin à sortir vous promener, par crainte de tomber. La vision joue un rôle central dans ce contexte.
 
Jay Ingram :
La privation sensorielle causée par la perte de vision est, d’une certaine manière, à l’opposé de la charge cognitive. Mais cette moindre stimulation, contribue-t-elle réellement au risque de démence?
 
Walter Wittich :
Je pense que cela joue assurément un rôle, car nous voulons évidemment que le cerveau reste aussi actif que possible. Lorsqu’il reçoit moins de stimulations sensorielles, il dispose naturellement de moins de matière à traiter. Ce phénomène n’est pas nécessairement propre à la vision, il s’observe aussi pour l’audition. Je pense que ça explique aussi une partie des autres données sensorielles que nous avons observées. Ainsi, le fait de disposer d’une plus grande quantité d’informations et d’avoir un accès plus large, plus facile et de meilleure qualité au monde qui nous entoure contribue, par définition, à rendre le cerveau plus actif, et c’est précisément cet objectif que nous poursuivons.
 
Allison Sekuler :
Qu’en est-il alors d’une personne aveugle de naissance, par opposition à celle qui a perdu la vue en vieillissant? Nous parlons souvent de la perte de vision non traitée comme d’un facteur de risque de démence. Est-ce également le cas pour les personnes aveugles de naissance?
 
Walter Wittich :
C’est une excellente question; en effet, il y a beaucoup de personnes aveugles de naissance dont les facultés cognitives demeurent tout à fait normales à mesure qu’elles grandissent et qu’elles vieillissent. Ce qui importe ici, c’est le changement, ainsi que l’adaptation et l’effort relatifs au changement. Si, par exemple, vous développez une déficience visuelle à un âge avancé – 60, 70 ou 80 ans, il vous faudra vous adapter à cette nouvelle situation : apprendre de nouvelles stratégies, adopter de nouvelles méthodes, voire utiliser des technologies auxquelles vous n’avez jamais eu recours avant. Tout cela, je le répète, requiert une grande capacité d’adaptation. À l’inverse, si vous vivez avec une déficience visuelle depuis toujours, il n’est pas nécessaire de s’adapter, n’est-ce pas? Il s’agit simplement de votre état habituel et il n’est donc pas nécessaire de se préoccuper d’adaptations ou de changements.
 
Allison Sekuler :
Nous avons surtout parlé de la perte de vision jusqu’ici, mais nous avons parlé précédemment de la perte d’audition. Pourriez-vous nous expliquer comment une perte de vision non traitée peut interagir avec d’autres facteurs de risque, comme la perte d’audition? Ces troubles se conjuguent-ils? Peut-on réellement parler de « double atteinte sensorielle »?
 
Walter Wittich :
Oui, il y a une corrélation certaine, car, en vieillissant, la probabilité d’avoir des troubles de l’audition et de la vision augmente évidemment. S’ils apparaissent tous les deux en même temps, on parle alors de « double atteinte sensorielle », comme vous l’appeliez. Ce qui est essentiel, c’est de mesurer à quel point elle est sévère. Tant que la déficience ne touche que l’un des deux sens, cela n’est pas forcément problématique, car l’autre permet de compenser. Mais il existe un seuil critique où soudain les autres sens ne sont plus disponibles pour vous aider à compenser.
Je pense que la perception de la parole est un exemple intéressant, car elle mobilise à la fois l’ouïe et la vue. Nous utilisons les indices sonores de la voix ainsi que les indices visuels du visage.
 
Allison Sekuler :
Comme lire sur les lèvres?
 
Walter Wittich :
Exactement : nous interprétons ça en une compréhension de la parole, mais à un certain point, ça ne fonctionne plus. Et à ce stade, que nous appelons la double déficience sensorielle, il devient nécessaire d’adapter les approches et de mobiliser d’autres ressources, comme, par exemple, le toucher.
 
Jay Ingram :
Après son opération, Walter Kuntz a mentionné qu’il se déplaçait mieux et ne trébuchait plus. Pourriez-vous expliquer en quoi l’amélioration de la vision, ou une vision corrigée, interagit avec d’autres facteurs de risque de démence?
 
Walter Wittich :
Oui, je pense que son témoignage illustre parfaitement certains autres facteurs de risque modifiables que nous connaissons. Par exemple, l’activité physique joue un rôle déterminant dans la prévention de la démence. D’autres variables, comme l’isolement social, sont également en jeu : si vous êtes de nouveau plus actif physiquement, vous aurez moins de risques d’être isolé socialement, et donc moins de risques de souffrir de dépression. Ce sont toutes des variables qui sont soudainement liées à la vision et, bien sûr, à l’audition. C’est avant tout une question de communication et d’expérience sociale. Ces éléments se combinent pour enrichir la vie de chacun, et cette richesse contribue à vous protéger contre la démence.
 
Jay Ingram :
Walter, jusqu’à présent, nous avons surtout parlé de la cataracte. Il s’agit d’une pathologie liée à l’âge, pour laquelle l’opération est en général facilement accessible au Canada. Mais qu’en est-il des autres types de perte de vision? D’autres formes jouent-elles un rôle dans le risque de démence?
 
Walter Wittich :
Les facteurs de risque les plus évidents sont ceux liés aux maladies systémiques. Par exemple, le diabète : vous pouvez en gérer les effets, mais cela peut aussi s’accompagner d’une rétinopathie diabétique. Certaines maladies cardiovasculaires peuvent elles aussi modifier le fonctionnement de la vascularisation de la rétine; dans ce cas, la vision n’est qu’un aspect du problème. C’est donc un rappel pour nous de prendre soin de notre santé globalement, ce qui aura des effets bénéfiques automatiques sur la vision, sur l’audition, sur tous les autres sens. En somme, la vision n’est qu’une pièce du puzzle.
 
Allison Sekuler :
Quel message clé souhaitez-vous transmettre à notre public? Comment peut-il agir concrètement?
 
Walter Wittich :
Selon moi, la première chose à retenir est l’importance de passer régulièrement un examen complet de la vue. Je pense que c’est un excellent point de départ : si vous le pouvez, faites-le une fois par an, ou tous les deux ans. Ça peut dépendre de la province dans laquelle vous vous trouvez, de votre couverture d’assurance ou des prestations auxquelles vous avez droit, mais c’est un bon point de départ. Il vaut toujours mieux prévenir que guérir. C’est pourquoi la détection précoce est importante.
Si vous êtes atteint de diabète ou d’hypertension ou que vous avez un taux de cholestérol potentiellement élevé, veillez à intégrer la santé oculaire dans la gestion de votre santé en général, afin de ne pas négliger cet aspect. J’entends parfois des clients me dire : « Je n’ai pas consulté mon ophtalmologiste parce qu’un seul membre de ma famille était disponible pour m’emmener chez mon cardiologue, et que c’était plus important parce que ma vision ne me tuera pas. » Pourtant, il suffit de traverser la vue sans voir une voiture arriver pour que cela devienne aussi un véritable danger. Il n’est pas toujours facile de concilier toutes ces priorités.
Une autre chose qu’il est bon de garder à l’esprit, c’est d’examiner les facteurs de risque liés à l’environnement. Par exemple, porter des lunettes de soleil est toujours une bonne idée. Se protéger des rayons UV, c’est très, très important.
 
Allison Sekuler :
Une exposition accrue aux rayons UV augmente-t-elle le risque de cataracte?
 
Walter Wittich :
En effet. C’est d’autant plus vrai plus qu’on se rapproche de l’équateur, vu que l’exposition est plus importante. Mais oui, la protection contre les rayons UV est toujours une bonne idée.
Pour le reste, je dirais simplement qu’il faut utiliser sa vision le plus possible. Lisez, socialisez, participez à toutes les activités visuellement intéressantes ou stimulantes. Cela ne peut qu’être bénéfique, aussi bien pour vous que votre entourage.
 
Jay Ingram :
Nous avons parlé, Walter, de la situation au Canada et en Amérique du Nord en général et de l’accès aux soins médicaux qui contribueraient à préserver votre vision, mais ce n’est pas le cas dans le monde entier. Si l’on n’a pas facilement accès à un ophtalmologiste, y a-t-il quelque chose que l’on peut faire à la maison pour préserver sa vision?
 
Walter Wittich :
Une première étape consiste à procéder à une autoévaluation de sa vue. L’Organisation mondiale de la santé a créé une application gratuite, WHOeyes, que vous pouvez télécharger sur votre téléphone. Elle propose quelques tests pour la vision de près et la perception des contrastes, et donne aussi des conseils pratiques pour prendre soin de vos yeux. Je pense que c’est un excellent point de départ : l’application vous permet de faire le point sur votre vue, d’en apprendre davantage sur votre santé visuelle et, à partir de là, d’agir de façon proactive.
 
Jay Ingram :
Merci beaucoup, Walter, c’était un réel plaisir de vous retrouver. Toutes ces informations sur le rôle de la perte de vision dans le risque de démence sont vraiment intéressantes et importantes. Merci encore.
 
Allison Sekuler :
Merci.
 
Walter Wittich :
Merci beaucoup. Ce fut un plaisir. Je reviens quand vous voulez..
 
Jay Ingram :
Walter Wittich est professeur agrégé à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal.
Wow, beaucoup de renseignements intéressants et utiles. Allison, qu’est-ce qui t’a le plus marqué?
 
Allison Sekuler :
Comme tu le sais, je suis également une scientifique spécialiste de la vision; je connaissais donc beaucoup de choses, mais j’ai tout de même appris de nouvelles choses. Ce qui m’a vraiment marquée, c’est lorsque Walter Kuntz a parlé des couleurs et de la façon dont il les perçoit. Puis, lorsque Walter Wittich a fait le lien en mentionnant les cheveux bleus, j’ai trouvé cela très fascinant. J’ai également été ravie d’en apprendre davantage sur le programme WHOeyes dont Walter Wittich a parlé, puisque ça signifie que les gens, où qu’ils soient, disposent d’un moyen gratuit de vérifier leur vision, tout comme ils peuvent vérifier leur ouïe grâce au dépistage auditif gratuit de Baycrest. Et toi, qu’est-ce qui t’a le plus marqué?
 
Jay Ingram :
En fait, je vais lancer une idée, mais j’aimerais vraiment avoir ton opinion à ce sujet parce que c’est un domaine que tu connais très bien. Je suis frappé par l’opposition entre la charge cognitive, comme le déploiement de trop grands efforts en cas de perte de vision, et la privation de renseignements qui découle de cette perte. Ils agissent en quelque sorte en opposition. Je me demande donc si, au lieu d’acheter des lunettes plus puissantes ou de lire des caractères plus gros lorsque la perte de vision devient vraiment grave, il n’existerait pas d’autres moyens de stimuler le cerveau afin de restaurer les informations sensorielles perdues à mesure que la vision diminue.
 
Allison Sekuler :
Jay, l’une des choses que nous étudions dans notre laboratoire est l’entraînement du cerveau ou la neuroplasticité. Nous nous intéressons notamment à la manière dont il est possible d’apprendre à percevoir les choses différemment. Prenons la perception des visages, par exemple : avec l’âge, la capacité à reconnaître le visage d’une personne diminue. Et ce n’est pas seulement parce qu’on oublie des noms, c’est un problème de vision. Au fil des ans, nous avons donc effectué de nombreux travaux en laboratoire avec nos étudiants et nos stagiaires, montrant qu’il est possible d’entraîner les personnes âgées à mieux reconnaître les visages. La question est de savoir s’il est possible de généraliser ces travaux et de voir si ce type d’entraînement peut réellement avoir l’effet que tu mentionnes. Si j’améliore la vision d’une personne, est-ce que cela va améliorer sa capacité à traiter les renseignements cognitifs? C’est le Saint-Graal, et c’est ce que nous essayons de faire en ce moment au laboratoire.
 
Jay Ingram :
J’imagine que pour atteindre cet objectif, il nous faudrait d’abord mieux comprendre ce que signifie exactement la perte de renseignements par, disons, le déclin de la vision, au niveau du fonctionnement du cerveau.
 
Allison Sekuler :
Tout à fait.
 
Jay Ingram :
Pour en savoir plus sur la manière de renforcer la santé du cerveau et de réduire le risque de démence, ou d’en ralentir la progression, visitez notre site, defierlademence.org. Vous y trouverez les autres épisodes du balado, ainsi que nos vidéos, des images infographiques et d’autres ressources. Nous y mettrons également le lien vers le site de l’Organisation mondiale de la santé mentionné par Walter Wittich et Allison : W-H-O-E-Y-E-S.
 
Allison Sekuler :
Notre équipe de production pour ce balado est composée de Rosanne Aleong, Sylvain Dubroqua et John Parr Vijinsky. Notre rédacteur et réalisateur associé est Ben Schaub. La production est assurée par PodTechs. La musique a été composée par Steve Dodd et le dessin pour la page couverture a été réalisé par Amanda Forbis et Wendy Tilby.
 
Jay Ingram :
Nous tenons à remercier la Dre Jennifer Lee de l’Institut des yeux de l’Université de Waterloo. Nous tenons à remercier la Slaight Family Foundation, de même que le Centre d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement, et Baycrest, qui ont financé ce balado. Nous vous sommes également très reconnaissants de votre soutien, alors n’hésitez pas à vous abonner à Défier la démence quelle que soit la plateforme où vous écoutez vos balados. N’oubliez pas de laisser un « J’aime », un commentaire ou une note de cinq étoiles.
 
Allison Sekuler :
La prochaine émission de Défier la démence sera consacrée aux communautés 2ELGBTQI. Nous nous pencherons sur les obstacles sociétaux et systémiques à la santé du cerveau des personnes trans, et nous aborderons aussi les difficultés à accéder à des soins équitables et empreints de compassion pour les personnes vivant avec la démence. Rejoignez-vous alors que nous lançons fièrement la saison de la fierté. C’est ce que nous verrons la prochaine fois à Défier la démence. Je m’appelle Allison Sekuler.
 
Jay Ingram :
Et moi Jay Ingram. Merci d’avoir écouté Défier la démence, et n’oubliez pas : il n’y a pas d’âge pour prendre soin de son cerveau.